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19 août 2012

Total Recall : mémoires programmées

 

Film américain de Len Wiseman
Sortie en août 2012
avec Colin Farell, Kate Beckinsale, Bryan Cranston

Le genre : rappel totalement inutile

La note : 4+

 

Bon, voilà quelques semaines que je n'avais plus posté d'article sur le blog, le milieu du mois d'août étant peu propice aux grandes activités. J'aurais dû prévenir, désolé, et je vais donc tenter de me rattraper cette semaine avec une analyse et une mise en perspective un peu plus poussée du nouveau remake du film culte de science-fiction Total Recall. Le sujet m'intéresse, ça tombe bien.

 

Pour l'occasion, j'ai revisionné le film de Paul Verhoeven de 1990 avec Arnold Schwarzenegger. Mais ce qu'il faut savoir en tout premier lieu, c'est que Total Recall est d'abord une adaptation sur grand écran d'une nouvelle du génial auteur de science-fiction Philipp K. Dick, qui s'intitule Mémoires à vendre. Bien évidemment, étant donné la complexité des œuvres de Dick, adapter au cinéma est un vrai défi.

 

Alors, le Total Recall de Verhorgen était-il un bon film au regard de l'oeuvre de Dick ? Oui !
Est-ce qu'il valait la peine de revenir dessus et de tourner un nouveau Total Recall ? Non !
Le fait est que cette tentative de réadapter l'oeuvre est un échec. Je m'en expliquerai pourquoi, mais je vais tout d'abord revenir sur quelques œuvres de Dick adaptées au cinéma.

 

Mais d'abord, qui est donc ce fameux K. Dick ? L'auteur américain est né aux Etats-Unis en 1928, et mort en 1982 quelques semaines avant la sortie de la première adaptation cinématographique d'une de ses œuvres : Blade Runner, sur laquelle je reviendrai brièvement. Il faut d'abord se représenter Philipp K. Dick comme un personnage décalé, tourmenté, qui a passé une bonne partie de sa vie dans la pauvreté, l'abandon et la dépression. Pourchassé par le fisc et le FBI pour cause de fréquentations et d'orientations un peu trop gauchisantes. En échec constant sur le plan sentimental, il aura eu trois mariages, et toujours le sentiment d'être entretenu et persécuté parce qu'il écrivait la nuit sous l'emprise de drogues et de médicaments divers. Il connaîtra aussi des délires spirituels, au point qu'il s'inventera une propre théologie et prétendra avoir eu des révélations extraterrestres.

 

 K. Dick : le fou génial

 

En bref, un homme terriblement angoissé et dans le doute, trouvant dans l'écriture un exutoire à ses nombreuses idées à l'origine d'une œuvre cependant trop en avance sur son époque. Pour apprécier une œuvre de Dick, ou une œuvre dickéenne, je crois qu'il faut se plonger un peu dans son état d'esprit, un peu comme si on avait consommé de l'acide et qu'on était dans les vappes, et être ouvert à toutes sortes de réflexion remettant en cause ce que l'on croit être le plus évident - le fait par exemple, que vous êtes réellement en train de lire ces lignes actuellement par exemple.

 

Certes, il connaîtra quelques succès critiques et d'édition, comme par exemple avec Le Maître du Haut-Château, qui met en scène un Univers parallèle post-1945 dans lequel les nazis et les Japonais ont remporté la guerre et se partagent le monde. Par ailleurs, une partie de son œuvre est posthume et n'a été reconnue que plus tard. Il faut dire aussi que la science-fiction de Dick n'a rien à voir avec les récits épiques et flamboyants des années 70, tels que Star Wars ou Star Trek. Ici, pas d'exploration des planètes ou d'opéras galactiques comptant le récit mythique d'une guerre contre un quelconque empire, reflétant l'enthousiasme et le manichéisme de la guerre froide.

 

La science-fiction de Dick est beaucoup plus inquiétante. Les personnages y sont des anti-héros, faibles et perdus dans un monde qui les dépasse, dominés par la toute-puissance des firmes, des technologies et des Etats. Nous sommes dans des futurs proches, mais c'est déjà la fin de l'histoire, des situations post-apocalyptiques, dans lesquels la nature même de l'humanité et de la réalité est faillible. Bienvenue dans le désert du réel pourrait être le slogan de cette littérature très politique et métaphysique. Très en avance sur son temps, Dick aura été une grande source d'inspiration de la littérature, de la BD, du jeu vidéo et du cinéma cyberpunk, et des problématiques des nouvelles technologies informatiques, internet, d'intelligence artificielle, du changement climatique et des manipulations génétiques et physiologiques amorcées à partir des années 80.

 

La dystopie comme cadre

 

L'oeuvre de Dick a été adaptée à plusieurs reprises au cinéma, et a notamment donné trois films notables : Blade Runner, Total Recall, et Minority Report.

 

Blade Runner

Un paysage urbain à la 1984

 

Le destin de Blade Runner de Ridley Scott, sorti en 1982, adaptation de Do Androids Dream Of Electric Sheets ?, est étrange. Il a tour à tour déçu, intrigué et fasciné. Souffre-douleur critique, échec commercial, il a déçu les fans d'Harrison Ford qui incarnait ce commissaire au final bien lâche et impuissant, personnage qui a ennuyé jusqu'à l'intéressé lui-même. Cependant, le film a connu un nouveau destin à la télévision. En effet, le film est en bien des points original : rythme narratif très lent, écho aux films noirs des années 40, musique électronique de Vangelis, effets visuels et décors saisissants mettant en scène le Los Angeles de 2019, thématiques nouvelles... Blade Runner a fait l'objet d'une réflexion et d'une réappropriation intense de la part du courant cyberpunk dont il a été le précurseur.

 

L'histoire, c'est celle de Rick Deckart, détective et chasseur d'androides nommés réplicants, qui doivent être « retirés » car trop dangereux. Ou trop humains. Car en effet c'est sa rencontre avec Rachel, réplicante presque parfaite, qui va semer définitivement le doute dans son esprit. Le film, peu loquace, jouant ainsi subtilement, par effets visuels et sonores, sur la frontière entre l'humain et la copie, est véritablement perturbant, et pour moi entre dans le Top 5 des films de science-fiction.

 

Une relation amoureuse entre une réplicante et un humain : ça remue.

 

Par ailleurs, rarement un film aura connu une histoire aussi riche, au travers de ses multiples versions, entre le happy ending voulu par la Warner et la version voulue par Scott, beaucoup plus ambiguë sur la nature de Rick Deckart, le chasseur d'androides. Confère, cette fameuse séquence de 7 secondes ajoutée en 1992 au milieu d'une scène où Deckart rêve en jouant quelques notes au piano, dans laquelle on voit apparaître une licorne au galop, qui a véritablement bouleversé les interprétations.

 

Minority Report

 

Le côté mystique a dû plaire à Tom 

 

Autre film, autre époque, mais même référence dickéenne : Minority Report, de Steven Spielberg en 2001. L'histoire est celle d'un policier, une fois encore, mais d'une autre brigade spéciale, celle de prévention des crimes. Celle-ci tente d'intervenir avant que les crimes ne soient commis, qui peuvent être prévisualisés par des individus aux pouvoirs psychiques nommés les Précogs. Problème, l'inspecteur se verra lui-même commettre un meurtre dans les prédictions. Cachant la révélation à ses collègues pour éviter d'être arrêté, il sera entraîné dans une série de péripéties qui le pousseront précisément à commettre le meurtre qu'il a cherché à éviter.

 

Tueras ? Tueras pas ?

 

Réalisé par le spécialiste du cinéma de divertissement, Steven Spielberg, le film réussit tout de même à poser de façon très claire la problématique de Dick et a eu une influence très concrète sur certains débats politiques des années 2000, lors du tour de vis sécuritaire imposé par les attentats du 11 septembre 2001. En France par exemple, le film était régulièrement cité lorsque ont été votées les lois réprimant de façon plus révère les multirécidivistes, que le gouvernement Fillon jugeait bon de laisser enfermés pour éviter qu'ils ne commettent d'autres méfaits par la suite.

 

 Total Recall 1990

 

"We hope you enjoy your trip!" 

 

Passons maintenant à Total Recall de Paul Verhoeven. Sorti en 1990, le film s'inscrit cependant dans la lignée des années 80. Il a un peu vieilli et prête aujourd'hui à la rigolade, surtout au niveau de certains de ses effets visuels et de sa brutalité presque caricaturale, mais l'ambiance, la mise en scène, les acteurs sont vraiment bons, les scènes d'action malgré tout mémorables. Mais la réussite de Verhorven, c'est justement d'avoir conjugué la force brute de Schwarzenegger pour faire un bon film d'action, avec l'histoire de K. Dick en parvenant à instiller le doute durant toute l'histoire sur la nature de la réalité : Quaid, un terrien en quête d'une vie plus palpitante en allant acheter des souvenirs à la société Total Rekall, est-il réellement sur Mars en tant qu'agent-secret, ou est-il encore en train de rêver dans la machine à rêves ? Le film est véritablement ambiguë, à tel point que les deux versions sont crédibles et qu'il est impossible de trancher. Comme quoi, finalement, Matrix n'avait rien inventé.

 

 Faut-il faire confiance à sa femme ?

 

Philipp K. Dick était un homme exigeant.

 

Total Recall Mémoires Programmées

 

Ne devrait-il pas plutôt se demander : "Mais qu'est-ce que je fous là ?"

 

Bon, maintenant passons enfin au film qui nous intéresse aujourd'hui, Total Recall Mémoires Programmées. A l'ouverture du film, on nous annonce que la Terre a subit une guerre chimique et que seuls deux Etats ont survécu et sont habitables : la Fédération Britannique et la Colonie, en lieu et place de l'Australie, qui est plus ou moins soumise à la première. Les deux Etats sont reliés par un moyen de transport qui passe par le centre de la Terre nommé la Chute.

En entendant cela, je me suis dit « What the fuck » - pardonnez cet excès - ? L'histoire ne devrait-elle pas se dérouler sur Mars ? Mais après tout peut-être que non, c'est pourquoi je décide de donner une chance à ce nouveau scénario.

On nous présente alors le Quaid de cette version, monteur de policiers synthétiques sortis tout droit d'un I-robot, et on le suit dans ses états-d'âme et ses rêves, dans une scène de tendresse avec sa femme (au passage, il est intéressant d'observer l'évolution des canons de beauté et du sexy entre les deux films). Son entourage a beau le rassurer, Quaid n'en peut plus de sa vie ennuyeuse et il se laisse persuader d'aller voir Rekall pour se faire greffer quelques souvenirs. Ce début de film n'est pas si mauvais : quelques bonnes idées ont même été trouvées, comme la ressemblance troublante entre la femme de ses rêves et la femme de la réalité, ou le fait que Rekall se situe dans le quartier de prostituées : ainsi, on irait à Rekall pour la même raison qu'on irait payer pour du sexe, à savoir s'évader de la réalité pour un peu de plaisir. Même les paysages urbains m'ont semblé intéressants à regarder au départ, montrant juste ce qu'il faut de ces métropoles chaotiques et désorganisées, multiculturelles et à l'architecture destructurée, un peu à la Blade Runner mais avec son originalité propre.

 

L'homme pensif et le bazar du monde

 

Du moins c'est ce que j'ai un moment cru. Car le film tombe très vite dans toute sorte d'écueils. Ayant suscité le désir d'en voir plus, il commet le tort de de nous satisfaire et ce qu'il nous montre nous déçoit : bien trop gigantesque et technologiquement avancé avec ses bâtiments flottants pour un monde en ruine, les scènes de courses-poursuites au milieu de la ville et des ascenseurs auraient dû être évitées. De même, la Chute était une bonne idée, qui cependant a été utilisée pour les interminables scènes de baston à la fin du film. Là encore, non, ça ne marche pas.

 

Mais là n'est pas le plus grave. Car qu'en est-il de Total Recall ? La narration a été respectée, Quaid se retrouve dans un rêve (ou pas), sa femme le trahit, il est en fuite. L'histoire se déroule de façon à peu près correcte, malgré de nombreux défauts : c'est un peu maladroit et balourd, les scènes d'action – c'est ouf de le dire quand même ! - ne sont pas des plus palpitantes, Colin Farell prend régulièrement de grands airs étonnés surjoués, et un bandeau lumineux de quelques secondes nous rappelle souvent le caractère intangible de cette réalité, comme pour nous signifier « n'oubliez pas, les gars, que nous sommes dans Total Recall, et que c'est perturbant ! ». Triple lol. Bref, ce n'est pas hyper convainquant. Mais soit !

 

Ce qui est largement plus embêtant, c'est qu'à partir d'un certain point, l'enjeu du film change complètement : on est comme fixé sur la nature de la réalité et le but est maintenant rien moins que de sauver la Colonie contre les vilains Anglais et leur vilain chancelier. Je n'en dis pas plus, car certains m'ont fait le reproche de spoiler un peu trop, mais je dirais simplement que mis à part une petite référence à Rekall à la toute fin et qui laisse de marbre, le trouble et le doute instillé dans le premier film n'est absolument pas présent dans celui-ci. Car ce n'est tout simplement plus un problème arrivé à la deuxième moitié du film. Voilà ce que je reproche essentiellement à cette nouvelle version, qui par conséquent me paraît totalement vaine.

 

Outre cette problématique centrale, certaines subtilités du premier étaient intéressantes, comme la rivalité avec la femme de Quaid, en réalité fidèle au chef de la police. Dans la nouvelle version, la femme est aussi la chef de la police. Ayant délibérément désobéie au chancelier en voulant tuer Quaid au lieu de le capturer vivant, le chancelier se contentera de lui asséner « Nous réglerons cela plus tard », alors que dans le premier Total Recall, les tentatives pour tuer Quaid faisaient partie du plan du chancelier. Quel manque d'imagination pour ce remake ! Autre élément : dans le Total Recall 1990, Quaid est guidé par un enregistrement de lui-même, jusqu'à ce que celui-ci même le trahisse ! Dans le nouvel épisode, rien de cela. Enfin, dernier exemple, l'humour avec la technologie est un des grands tours de forces de Dick que Paul Verhoeven était parvenu un peu à retranscrire. Par exemple, dans Ubik, le héros se disputait avec une poignée de porte qui refusait de s'ouvrir tant qu'elle n'avait pas été payée. Faut-il préciser ici que cet élément a été ici totalement occulté ?

 

Il paraît que ça a été la promo du film à Los Angeles...

 

Bref, tout cela est bien navrant. Si je devais faire un bilan, je crois que je me ferais simplement total recall le film de Paul Verhoeven pour oublier celui-ci. Mais il aura eu au moins l'intérêt de m'y pousser et de me replonger dans l'oeuvre magistrale de Philipp K. Dick. En attendant les prochaines adaptations au cinéma, à l'instar de Ubik, probablement la plus grande œuvre de Dick, et pour laquelle mes attentes au cinéma seront très grandes.

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